En Janvier et Février 2021, je me suis installé pendant trois jours place de la basilique Saint-Denis, à Saint-Denis.
À différents moments de la journée, lors de différents jours, j’ai noté ce que je voyais : Les déplacements des passants, des moments ordinaires, des moments peu ordinaires, des animaux, des véhicules, des façades jusqu’aux nuages, et là, du gris et le passage du vent.
Manifester ce lieu, cette place du village, diraient même certains dionysiens. L’étaler dans toute son intensité, dans une multitude de récits de flâneurs, de travailleurs, de prêcheurs, de passants pressés, d’autres allant au marché. Montrer son étendue, sa lumière, son décor, ses nombreuses trottinettes électriques. Tant d’imperceptibles subtilités et variations qui font la vie de ce quartier.
En somme, épuiser la place de la basilique Saint-Denis en 2021.
Dans le petit renfoncement dédié à la vierge marie, deux rangées de cinq chaises prie-dieu. La femme du bonnet rallume les bougies éteintes au pied de la statue de la vierge. Une autre femme, moins agée cette fois, entre et caresse la vierge, ses pieds de marbres, puis le drapé de sa tunique. Cette femme est une habituée et s’appelle Dorothée.
« Je suis catholique, baptisée. Je viens souvent, à la messe ou en semaine pour me recueillir. C’est le lieu de culte le plus proche de chez moi, je m’y sens bien. La place, je passe vite et c’est tout. Je suis du coté de la piscine, je me suis jamais attardée sur la place, je la traverse juste, je ne vais pas dans la rue piétonne à cause des agressions. Des fois je prie chez moi mais souvent j’ai besoin de me recueillir. J’ai vu qu’ils ont fait des travaux de rénovation, je suis contente parce que c’est une belle basilique pour Saint-Denis et pour nous les chrétiens. Je préfère être à l’intérieur qu’à l’exterieur. Je sais que la façade est belle mais bon quand on la voit tous les jours, et ça fait 30 ans que je vis ici, on ne la regarde plus tellement. Mes enfants ont fait leur communion ici. J’habite pas loin, mais je passe par là seulement quand je vais prier, avec mon compagnon ou seule. »
Deux trotinettes électriques passent. Une joggeuse en fin de course arrête le chronomètre de sa montre avant d’aller s’étirer près des bancs. 5 policiers en uniformes noirs remontent la rue des boulangers, en direction du parvis de la basilique. Vêtus d’un gilet pare-balle, Ils portent chacun une ceinture. Autour d’elles Une arme à feu, un aérosol de défense, une paire de menottes. L’écusson sur le bras de Andy, Florian, Eric et Quentin, le « doyen en histoire », représente une gargouille juchée sur le toit de la basilique Saint-Denis.
"Nous, on est la Btc (brigade territoriale de contact) centre-ville, la place de la basilique c’est notre secteur. On est au service de la population, on travaille toute la journée à pied et on passe tous les jours par ici parce que ça fait partie des consignes. On a pour mission aussi de protéger la basilique par rapport à tout ce qui s’est passé, après les attentats de l’an dernier on a mis en place des services de protection, les crs venaient maintenant c’est nous qui passons tous les jours ça fait partie de notre travail. On est déjà intervenus en fin d’année là quand quelqu’un avait cambriolé la basilique. C’est un secteur quand même assez calme. Les restaurants c’est compliqué là mais habituellement c’est des gens qui viennent le soir pour passer du bon temps avec les amis, la famille, ici c’est vachement famille vous venez à 17-18heures, il y a que des enfants qui viennent jouer.
- comme a dit mon collègue, c’est un lieu de passage, pour nous c’est même plusieurs fois par jour. Notre écusson c’est la basilique, ça représente bien où on travaille et ce qu’on a à faire. Sur cette place il y a principalement du passage, les gens vont dans les magasins rue de la république ou il viennent et regardent la basilique, après il y a la mairie juste là... Sinon le métro, le bus et la porte de Paris. Il y a aussi des gens qui se posent quand il fait beau. Sinon pour les événements de la ville, les manifestations, tu peux être sûr que ça se passe ici. Il y a encore quelques petites manifs, la Cgt l’autre jour. Par contre, aucun d’entre nous habite ici, et clairement on revient pas dans notre temps libre, quand t’es policier tu reviens pas comme ça à Saint-Denis, il y a pas que des gens gentils dehors, si ils te reconnaissent c’est compliqué en tant que policier faut pas trop trainer dans sa circonscription. Quentin il peut vous parler un peu du lieu il adore venir ici (rires et sourires).."
Une grosse enseigne, en forme de flèche arrondie, décore un mur condamné et sans fenêtre. Elle indique aussi l’emplacement du restaurant Au Soleil d’Or. Deux jeunes hommes, Lancelot et Chris, partagent une bière fraîche de la marque 86. Pour se défaire du froid, Lancelot combine une casquette et une capuche. Chris a opté pour un bonnet technique.
« Moi je m’appelle Lancelot, ma mère elle habite juste à côté, à 5 minutes, c’est la troisième fois que mon pote vient me voir ici, je sais pas, il voulait fumer son ter il m’a dit y’a pas un endroit posé, du coup on est venu ici on s’est posé. Avec la vue sur la cathédrale, c’est tranquille. C’est la première fois que je viens ici. J’habite dans les cités plus loin là haut, la seule fois où j’ai vu ça c’était dans un jeu vidéo mon pote carrément, ma daronne elle vient de déménager en fait t’as vu, Saint-Denis je trainais pas trop ici avant maintenant je passe mes journées ici, c’est juste la première fois que je viens sur la place. Mon pote il voulait un endroit posé, on a marché un peu on a trouvé ça on s’est dit c’est carré. On s’est posés et on est bien depuis.
Moi c’est Chris, je suis venu là avec mon pote parce qu’il habite là, on s’est posés, sinon moi j’suis de paris. Je vais venir de plus en plus souvent chercher mon pote, ici c’est une belle ville, j’aime bien. On a la musique, le ter et la bière on est dans notre délire. ».
Lancelot «On écoute Ninho,Timal, Sch, Daeugi, tous ceux qui pètent quoi. On est passés par le parvis en arrivant, les gens c’est pas paris t’as vu, Paris les gens ils sont fermés ils te regardent mal, fin bien typiquement parisien. Quand tu sors tu vas dans la banlieue les gens ils sont plus avenants, ils vont te parler plus facilement ou toi tu vas leur parler. C’est mieux, y’a toutes sortes de religions, d’origines d’ethnies, tout ce que tu veux qu’y a pas à Paris, surtout sur St denis. Depuis que ma mère elle est là, c’est plus facile d’avoir des contacts. Des fois ça fait du bien de se retrouver hors de paris. St denis c’est bien, avant j’habitais dans le 15. Même si il y a beaucoup de cités, il y a pas trop de problèmes, je me suis jamais fait embrouillé en mode « tu viens d’où, tu fais quoi ? » comme dans plein d’autres quartiers. Saint-Denis c’est calme, à une époque c’était ouais… ça a eu la réputation des grands délinquants et des agressions, des voitures brûlées. Mais comme un grand à moi il a dit, il habite sur Saint-Denis depuis très longtemps, il m’a dit je trouve que saint Denis c’est moins dangereux que Paris. Moi chu là, à d’autres endroits ça peut partir vite en embrouille bizarre. Qu’ici, ça fait un mois qu’ jsuis chez ma mère, c’est calme. J’reviendrai me poser ici c’est sur. »

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